Dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 mai 2021(n° 20/15219, Yves Rocher / IBM), la juridiction a rappelé qu’une expertise judiciaire devait être ordonnée quand les circonstances ne sont pas suffisamment éclairées par un rapport d’expertise amiable.

Après une première phase d’étude, le client avait signé avec le prestataire un contrat d’intégration ainsi qu’un contrat d’abonnement pour un logiciel accessible en Saas. Il s’agissait d’un logiciel de gestion des commandes (Order management system). L’intégrateur était aussi l’éditeur du logiciel. Le contrat d’intégration prévoyait un prix forfaitaire de 512 000 € et le contrat d’abonnement au logiciel SaaS coûtait 327 000 € par an.

Le client et le prestataire avaient commandé ensemble une étude à un cabinet de consulting, après l’apparition des premières difficultés.

Les négociations avaient échoué et le client avait assigné le prestataire informatique devant le président du tribunal de commerce de Paris pour qu’une expertise judiciaire soit ordonnée.

Le prestataire informatique s’était opposé à l’expertise informatique avec succès. La demande du client avait été rejetée.

Le client a donc fait appel et la cour d’appel a ordonné l’expertise en rappelant les conditions pour ordonner une expertise judiciaire.

On doit d’abord avoir un procès « en germe ». Dans notre affaire, les difficultés étaient évidentes, et le client avait d’ailleurs résilié le contrat aux torts exclusifs du prestataire et avait réclamé une somme supérieure à 2 millions d’euros de dommages et intérêts.

On doit ensuite vérifier qu’il n’existe pas un obstacle évident empêchant le succès du futur procès. Cela peut être le cas si on a assigné la mauvaise société ou si l’action en justice est prescrite ou encore s’il existe une transaction préalablement signée entre les parties. Dans notre cas, il n’y a rien de tout cela. Le prestataire a expliqué longuement qu’il n’était pour rien dans l’échec du projet. Mais la cour d’appel lui répond que tous ces arguments doivent être soumis à la sagacité d’un expert judiciaire.

Il faut encore valider que l’expertise judiciaire est utile. Dans notre affaire, le prestataire informatique disait que le rapport d’analyse du cabinet de consulting était suffisant pour établir les responsabilités de chacun dans l’échec du projet. La cour d’appel n’est pas convaincue, car le rapport d’analyse est très court et ne suffit pas pour comprendre dans le détail si les griefs de chacun sont prouvés. En fait, le rapport du cabinet de consulting avait pour objectif de déterminer si le projet était faisable et comment le remettre sur les rails.

La dernière condition est de vérifier que la mission de l’expert n’est pas disproportionnée ou trop large. En effet, une juridiction ne peut pas nommer un expert en lui déléguant tout son pouvoir et en lui demandant (un peu comme un juge d’instruction) de tout étudier dans le projet pour donner son avis. Il faut que la mission soit précise et il faut aussi qu’elle soit proportionnée au sujet à trancher. C’est un principe posé par l’article 147 du code de procédure civile : « Le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux ».

Enfin, en ordonnant la mesure d’expertise judiciaire, le juge doit déterminer la mission de l’expert judiciaire avec précision. Le prestataire demandait que l’obligation de collaboration du client soit examinée. La cour d’appel lui donne raison et demande son avis à l’expert judiciaire. Quant au client, il voulait que l’expert donne son avis sur la question de savoir si le prestataire pouvait être considéré comme un assistant à maîtrise d’ouvrage. Là aussi, la cour englobe ce sujet dans la mission de l’expert judiciaire.

En conclusion, l’expertise judiciaire n’est pas automatique (on dit qu’elle n’est pas « de droit »). Elle doit être ordonnée dès que c’est justifié, et un rapport d’expertise technique est rarement suffisant pour la remplacer.

 

La date de publication de cet article est :  01/06/2021 . Des évolutions de la loi ou de la jurisprudence pouvant intervenir régulièrement, n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information. 

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